mardi 17 juin 2008

Le Labyrinthe du monde

... Le troupeau en passant a brisé la jacinthe ;
Elle fleurit encore contre le sol couchée...

Ces vers de Sappho de Lesbos sont traduits par Yourcenar dans la Couronne et la lyre. L'image de la fleur qui survit et demeure belle dans sa disgrâce est évocatrice... On peut rire de Sappho, de Yourcenar et de leurs amours, mais on ne rit pas longtemps si l'on se plonge dans leurs oeuvres.
Yourcenar n'écrit ni comme une femme, ni comme un homme. Elle écrit de telle manière que l'on se sent de plus en plus petit à mesure que se déploient son style et sa pensée... Dans les trois volumes de ses souvenirs qui forment le Labyrinthe du monde, elle se livre sans ordre à diverses réflexions et reconstitutions de ses origines qui laissent le lecteur sans voix. Elle commence ainsi le deuxième volume, Archives du Nord, par une évocation de "la nuit des temps" :
(...) tournons avec la terre qui roule comme toujours inconsciente d'elle-même, belle planète au ciel. Le soleil chauffe la mince croûte vivante, fait éclater les bourgeons et fermenter les charognes, tire du sol une buée qu'ensuite il dissipe. Puis, de grands bancs de brume estompent les couleurs, étouffent les bruits, recouvrent les plaines terrestres et les houles de la mer d'une seule et épaisse nappe grise. La pluie leur succède, résonnant sur des milliards de feuilles, bue par la terre, sucée par les racines ; le vent ploie les jeunes arbres, abat les vieux fûts, balaie tout d'une immense rumeur.

Commencer l'histoire de sa famille par celle des origines du monde (avant même l'homme) révèle sans doute une certaine conscience de sa propre valeur... Mais celle qui possède le talent de le faire en ces termes peut se le permettre, et on le lui accorde sans hésitation...

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