vendredi 5 juin 2009

Au risque d'être déçue

En littérature, Myosotis se tourne volontiers vers le marbre et le granite. Les Grands auteurs, les Classiques, les Génies estampillés. Ceux qui ont des statues, des places et des rues baptisées de leur nom. Ceux dont les oeuvres complètes peuplent utilement les bibliothèques. Ceux dont les innovations audacieuses (éventuellement mal reçues de leurs contemporains) ont fait des références pour la postérité.
Avec eux, on prend peu de risques. Leurs faiblesses (insuccès, échecs relatifs ou cuisants) sont connues, leurs défauts ont été catalogués, leurs manies sont devenues familières. Cela étant posé, on sait par ailleurs à quoi s'attendre et c'est merveilleux : au détour d'une page ou d'une autre, le livre nous tombera des mains non pas par ennui mais par éblouissement... Comment fait-il ? Comment sait-il ? Comment peut-on dire cela (ce sentiment intime, cet émoi furtif, cette vérité si profonde...) aussi bien, aussi justement, aussi complètement ?
Voilà ce qui arrive en lisant Balzac, Yourcenar, Hugo, Proust... (belle liste ouverte et sûrement interminable)

La lecture des auteurs contemporains (encore bien vivants et écrivant) peut offrir les mêmes éblouissements mais ne s'accompagne pas de la même sécurité.
Voici par exemple quelle surprise attendait Myosotis dans l'avant-dernier roman de Jean Rouaud, La Fiancée juive, page 63 :

Je voulais de grands espaces et du sérieux. J'ai depuis rétréci. Pour mes romans, je n'ai eu besoin que d'une moitié de département. Et on y sourit, parfois.

C'est la reprise d'un texte très proche, dans le petit volume intitulé Régional et drôle, page 13 (et quatrième de couverture) :
(...) je ne le savais pas encore, mais pour mes romans, je n'ai eu besoin que d'une moitié de département, et souvent, entre les lignes, vous n'imaginez pas comme je ris.

L'auteur a tous les droits, y compris celui de se citer lui-même, de se reprendre et d'établir des liens entre ses oeuvres, même sans le dire explicitement. (On attendait pourtant une petite note indiquant simplement "ce texte est déjà paru aux éditions Joca Seria sous le titre...etc.") De plus, il exprime joliment à deux reprises les contradictions internes de son emploi de journaliste régional et drôle.
Mais que faut-il donc penser des deux regards contradictoires qu'il porte sur son oeuvre ? Entre le sourire passager et le rire inimaginable, il y a une différence... Pourquoi cette modification du texte sans la plus petite explication ? Faudra-t-il attendre que Jean Rouaud meure, dûment classifié et estampillé, pour qu'une étude savante vienne lever le doute ?
C'est que Myosotis, encore éblouie par la lecture souvent reprise des 5 volumes du Cycle de Loire-Inférieure, voudrait bien savoir quelle est la véritable nature de ce rire... De qui se moque-t-on ?

3 commentaires:

tricotine (qui reprend du service) a dit…

bin là pour laisser un commentaire, il faut s'accrocher!!!
d'une part parce que je ne connais absolument pas l'auteur dont tu parles (eh oui, j'ai encore pas mal de lacunes!!!) et d'autre part pour avoir vécu avec toi de nombreuses années (et j'espère le faire encore très longtemps...) je retrouve la marque très particulière de ton exigence littéraire (tu n'es pas prof pour rien...) et cette remarque concernant cet écrivain restera lettre morte car j'ai aucun avis particulier là dessus, sauf de te dire que malgré tout je t'aime quand même et que aujourd'hui il fait beau dans mon coeur et ans ma vie...
Enormes bisous

Corinne Denoyelle a dit…

C'est rigolo ton message, parce que j'ai justement entendu aujourd'hui une communication (de linguiste) sur la citation chez Rouaud. Elle devrait être en ligne au mois de juillet, je t'enverrai le lien à ce moment là et j'essayerai de parler de cet exemple à la conférencière pour lui demander son avis. Il semble que ces jeux de répétitions intratextuelles (je te passe les autres qualificatif) soient un grand classique chez Rouaud qui non seulement passe son temps à citer la Bible ou les autres textes littéraires mais qui multiplie les clins d'œils à ses propres œuvres. Cela n'éclaire pas entièrement le passage du sourire au rire, mais on peut au moins penser que ce n'était pas uniquement du plagiat ! ou du moins que c'est plagiat revendiqué !
Bises
On attend d'autres rapports de lecture
Corinne

Corinne Denoyelle a dit…

il faut faire passer le s "d'œils", qui en a trop, à "qualificatif", qui en manque.
Corinne