jeudi 28 février 2013

Ebooks et bouquins

Dans une Public Library des environs, les employés se battent pour sauver leur emploi et les crédits alloués aux bibliothèques. Des tracts et des affichettes invitent à signer une pétition, sur le thème : "Library still matters" et "Tell us why you love your library".
Le combat est rude, parce que non seulement la crise économique, mais en plus, les ebooks... Deux bonnes raisons de délaisser les livres en papier, leur coût et leur poids...
Alors l'amour du papier, la vie des choses écrites, les mots qui restent quand les paroles s'envolent, c'est tout un art de vivre qui se trouverait menacé par la technologie informatique ? Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'une page est en train de se tourner...

Or, dans un recoin de ladite Public Library, de vieux bouquins sont vendus au profit d'une association. On farfouille un peu et parfois on met la main sur des livres français... C'est ainsi que cette fois, on déniche le Chant du monde de Giono !
Et glissée à l'intérieur, une vieille pochette de carton contient deux fiches d'emprunt. On peut y voir des numéros tapés à la machine ainsi qu'un code-barre attestant l'informatisation du catalogue... Mais le modeste volume français, bien rangé dans quelque bibliothèque américaine, a traversé les années sans sortir de son rayonnage et les deux fiches ont jauni ensemble... (Quelle main distraite ou optimiste a pu juger utile d'ajouter une seconde fiche quand la première était restée vierge ?)

Pour faire de la place, on a donc retiré ce livre du prêt et on l'a proposé à la vente... Pour 25 cents... Giono ! Le magicien de l'eau et de la terre, celui qui donne à entendre le langage des arbres et qui parle d'amour comme d'une marée de sève ou de feu !
Les mots du vieux bouquin jauni n'attendent qu'un regard pour se déployer, et voilà le dégel du fleuve après le rude hiver sous la neige :

 Tout le long des rives, à l'endroit où le fleuve avait pu se frotter contre les arbres durs, il y avait déjà une belle allongée d'eau noire, toute libre. Elle goûtait l'air et elle ne gelait plus, elle faisait seulement la grimace avec des vagues et la moire du grand courant qui la travaillait en dessous. Pour le voir bouger on n'avait plus besoin de guetter le fleuve comme une belette qui fait l'endormie. Il ne se gênait plus. Il prenait même un peu trop de plaisir à faire du bruit et, des fois, il craquait comme d'un bout à l'autre rien que pour un peu soulever son dos glacé et le laisser retomber. Alors, l'eau libre des bords montait dans les champs et, à force de lécher la neige elle avait fait apparaître l'ancien visage de la terre, celui qu'on avait oublié, celui de peau raboteuse.

Imprimés, jaunis, tapis dans les pages d'un volume oublié ou bien tapés sur un ebook ou sur un blog, les mots seront toujours les mots.
Tous les écrans du monde ne changeront rien à la force des mots.

samedi 16 février 2013

Poinsettia

C'est très joli, ces plantes-là.
Ici, et peut-être dans tous les USA (mais comment savoir, par exemple pour la côte Ouest ?) il est absolument indispensable et traditionnel d'en faire l'acquisition pour Noël.
Les églises en débordent, on en met tout autour de la crèche et de l'autel et partout où il y a assez de place.
Les gens en mettent dans leur salon et en offrent à leurs amis et voisins.

Justement, les voisins, en partant pour leur voyage d'anniversaire de mariage (20 ans !), ont sollicité l'arrosage de leurs plantes d'intérieur et (au passage) ont donné leurs poinsettia, histoire de ne pas les laisser dépérir bêtement.

Par extraordinaire, les plantes en question ne sont pas mortes mais restent très agréables à regarder. Le problème, c'est la comparaison avec celles des autres années (cadeaux qui ont survécu et rescapées d'une paroisse voisine), que l'on a rempotées gentiment, puisqu'elles aussi se sont obstinées à survivre.
On a oublié de se renseigner sur les soins à leur donner. Voilà ce que ça donne :
Rien que des feuilles ! Le Grand Chêne (fâché d'avoir prodigué de l'engrais en vain) dit que ça ne sert décidément à rien de les garder, même si c'est toujours triste de jeter des plantes vertes... Pourtant, pourtant, en y regardant de plus près...
Alors, l'année prochaine, on va essayer de faire mieux... Pas question bien sûr de rivaliser avec des plantes forcées en serre, les attentes resteront modestes. On va simplement appliquer les bons conseils des spécialistes, on va tailler.
Et on verra bien...

samedi 2 février 2013

Un vrai hiver

Pas celui qui est dehors, en ce moment, et qui joue à faire très froid. Il n'est pas sérieux.
Gris peut-être, pluvieux parfois, morose et décevant aussi, puisque chaque tentative de neige disparaît comme un rêve, le temps de semer la pagaille sur l'autoroute trop salée.
Cet hiver ne ressemble à rien, et ses brusques coups de grand soleil n'amusent que les écureuils, en faisant souffrir peut-être les petits arbres qui s'étaient mis à fleurir mi-janvier...
Un vrai hiver, cette année, nous devrons aller chercher cela ailleurs... Sous d'autres cieux, ou bien dans Rroû, de Maurice Genevoix...

Tous les matins l'herbe était blanche. Elle scintillait sous la froide lumière, et jusqu'au soir restait raidie sur les pentes des fossés que le soleil ne touchait point. Le temps, depuis la lune nouvelle, demeurait immuablement clair. Le ciel entre les branches apparaissait d'un bleu tendre et léger, et même dans l'ombre de la nuit il gardait une glaciale transparence où les étoiles avivaient leurs feux.
D'une aube à l'autre, le froid grandissait. La jonchée des feuilles mortes pétillait sous les pas, s'émiettait en paillettes cassantes que les moindres remous de l'air soulevaient sur la terre gelée. Le froid hantait le bois de sa pureté déserte, chaque arbre semblait plongé au fond d'un océan resplendissant et mort, et  les ramilles prenaient aux yeux une fragilité minérale que le poids d'un roitelet eût brisée.
Le merveilleux narrateur-chat (ou chat-narrateur ?) sait exactement de quoi il parle. Et il le fait avec tant de conviction que l'on a presque envie de le suivre au bout de sa liberté... Quitte à éprouver le froid d'un vrai hiver...