mardi 20 août 2013

Comme une naissance

Il fallait bien que cela arrive un jour... Mademoiselle Bee est partie faire ses études en France.
Elle  a passé 18 ans à la maison, elle a grandi (beaucoup), elle a appris (ce que l'on peut à son âge) et elle a travaillé (énormément). Bac en poche, le moment était venu pour elle de passer à autre chose... Dans la joie de partir exactement vers ce qu'elle désirait.


Et de même que sa naissance était un évènement attendu, logique et nécessaire, son départ était prévu, souhaitable et inévitable. Mais au moment de passer en salle de travail, comme on aimerait que ce soit déjà fini ! Et au moment de boucler les valises, de la serrer encore une fois très fort et de voir son taxi s'éloigner, comme on souhaiterait échapper à la douleur !
Le Grand Chêne est parti avec elle pour veiller à son installation. Elle ne sera pas très loin de ses grands-parents ni de ses oncles et tantes, elle a des amis et elle retrouve le pays natal dont elle se souvient très bien, puisqu'elle avait 10 ans au moment de le quitter. Tout va pour le mieux, c'est entendu...
Pourtant, depuis l'autre rive, on ne peut pas se défendre d'avoir des sentiments mêlés : Myosotis désormais membre de l'immense confrérie des Mamans de grands enfants découvre la suite de l'aventure commencée en salle de travail... Donner la vie, c'est un engagement d'amour pour l'éternité...

jeudi 1 août 2013

Presque 100 ans

Début août... Dans le passé de l'Europe, l'été est aussi la saison de la guerre.
On a tout dit, tout écrit, sur la Première Guerre Mondiale.
Les pages enchanteresses de Jean Rouaud dans les Champs d'honneur marquent une étape dans la façon d'évoquer l'évènement. Presque un siècle plus tard, tout est dans la manière de le dire, de faire sentir au lecteur ce qui s'est passé et comment on a vécu le suicide de l'Europe...
Un autre livre relève le défi :


Avec ce titre déroutant, Jean Échenoz affirme d'emblée un parti pris factuel et le choix d'un ton très simple :
Nous étions au premier jour d'août...
Anthime, qui n'a rien d'un héros et qui n'est pas vraiment le personnage principal,
est parti faire un tour à vélo après avoir déjeuné.
Il regarde le paysage, puis il remarque
un phénomène inconnu de lui. Au sommet de chacun des clochers, ensemble et d'un seul coup, un mouvement venait de se mettre en marche, mouvement minuscule mais régulier : l'alternance régulière d'un carré noir et d'un carré blanc, se succédant toutes les deux ou trois secondes, avait commencé de se déclencher comme une lumière alternative, un clignotement binaire (...)
c'étaient en vérité les cloches qui, venant de se mettre en branle du haut de ces beffrois, sonnaient à l'unisson dans un désordre grave, menaçant, lourd (...)

Après cela, tout s'enchaîne : les hommes partent, ne comprennent pas où ils vont et ne savent pas pour combien de temps. Fidèle à son parti pris, l'auteur évoque tous les détails concrets de cette vie quotidienne qui peu à peu laisse place à la mort quotidienne, sans changer de ton.
On découvre l'équipement complet et le contenu du sac :
- bouteilles d'alcool de menthe et substitut de café, boîtes et sachets de sucre et de chocolat, bidons et couverts en fer étamé, quart en fer embouti, ouvre-boîte et canif - (...)
La liste s'achève sur la mention du poids de l'ensemble :
 au moins trente-cinq kilos par temps sec. Avant qu'il ne se mette, donc, à pleuvoir.

Alors des combats ont lieu, les obus pleuvent, les conditions de survie deviennent invraisemblables, l'horreur s'installe sans être nommée. Aveuglément, on suit Anthime et les autres, sans prendre aucun recul.
Et lorsque le roman s'achève, on se retrouve face aux espaces laissés blancs, dans lesquels tout ce que l'on sait par ailleurs de cette guerre (souvenirs d'études, idées et émotions mêlées) est libre de se déployer.

Jean Échenoz n'a pas écrit une oeuvre parfaite, mais il a su trouver un moyen de redonner vie aux soldats de 14, pour rendre aux faits leur puissante brutalité. On en oublie que c'était il y a presque 100 ans...