mardi 23 mai 2017

Justice

Convocation à 8:00am. File d'attente, poste de sécurité, sacs-manteaux-ceintures et on peut entrer.


Dans le bâtiment aux couloirs démesurés, il fait froid et personne ne sait où il doit se rendre. On consulte un écran lumineux qui indique toute sorte de codes. On finit par s'y retrouver, quatrième étage, courtroom 401.
Devant la salle, encore un peu d'attente. Diverses formes d'inquiétude se laissent deviner. Une femme de type asiatique lit et relit une lettre. Plusieurs policiers arrivent, bardés de leur équipement (qui fait du bruit sous le portique de sécurité, mais eux bien sûr on les laisse passer), chacun vient pour une affaire précise.
Enfin les portes sont ouvertes. La salle du tribunal ressemble à un temple, avec de longs bancs de bois verni et trois allées qui mènent à l'estrade où siégera le juge. Mais avant cela, deux jolies juristes font aligner les personnes présentes : la brune aux longs cheveux lisses et aux talons vertigineux est procureur, elle identifie chacun et repère chaque dossier dans les paquets disposés sur sa table, la blonde légèrement ébouriffée assurera la défense de certains prévenus et ne sortira ses propres papiers qu'à ces moments-là, sur l'autre table.
Trois hommes Noirs aux cheveux grisonnants prennent place autour de l'estrade, impeccables et blasés. L'un d'eux avertit le public : pas de bavardages, pas de lecture privée, surtout pas de téléphone, il faut être attentif sinon on risque de manquer l'appel...
Enfin, le juge pénètre dans la salle, robe noire flottante et regard bienveillant derrière ses fines lunettes. Il s'installe, plutôt guilleret. Le ballet commence par une série d'échanges convenus : on remet tel cas à plus tard, la brune aux longs cheveux lisses fait voltiger les dossiers avec l'accord du juge qui annote ses propres papiers en cadence.
Les premiers prévenus sont alors appelés. On évoque des formations (éducatives et responsabilisantes) et des heures de service qu'ils devront effectuer, en plus du paiement d'une amende (et des frais de justice). Le juge prend le temps de leur demander s'ils sont bien conscients de ce qu'ils ont fait, ils affirment qu'ils le sont.
Une femme est appelée à la table de l'accusation. Du côté de la défense, son gendre, qui l'a battue un soir d'ivresse. Et avec ce gendre, la fille de la plaignante, venue soutenir son mari contre sa mère. Le juge écoute, l'avocat du gendre promet une conversion radicale, sa belle-mère secoue la tête... Il faut être du métier pour ne pas se sentir le coeur serré devant tant de misères...
Enfin retentit le nom que l'on attendait. Des policiers font entrer deux jeunes Noirs, en tenue carcérale, hirsutes et menottés. Le premier sera libéré bientôt et accompagné vers une réinsertion. Le deuxième, les mains agitées d'un tremblement évident, a un dossier si lourd que la brune aux longs cheveux lisses met un moment à tout énumérer. Il est coupable (entre autres) de plusieurs agressions à caractère sexuel. La blonde légèrement ébouriffée prend la parole, se lance dans de longues explications, agite son stylo. La brune aux longs cheveux lisses fait alors signe au témoin.
Le témoin s'avance, très droite, jusqu'à la table de l'accusation, décline son identité et résume les faits. La voix blanche mais la parole sûre, elle explique sobrement qu'elle est venue témoigner pour que cet individu ne recommence pas ce qu'il a fait. Le juge écoute, pose une question, la remercie. Elle peut regagner sa place ; une décision de traitement surveillé du prévenu est prise.
Grâce à elle, qui s'est défendue et a alerté aussitot la police, cet individu a enfin pu être arrêté. Grâce à elle, cette affaire n'est pas seulement une histoire sur papier. Elle a eu le courage de venir passer la matinée au tribunal pour donner un nom et un visage aux victimes de ce genre d'agissements. Elle a agi selon ses convictions.
Ma grande fille.

dimanche 7 mai 2017

Une lettre persane de Montesquieu

C'est une lettre du Persan Usbek, en voyage à Paris, à son compatriote Ibben, demeuré à Smyrne.
Il y est question du roi Louis XIV, mais si l'on s'amuse à modifier légèrement la perspective...

J'ai étudié son caractère, et j'y ai trouvé des contradictions qu'il m'est impossbile de résoudre. Par exemple : il a un ministre qui n'a que dix-huit ans, et une maîtresse qui en a quatre-vingts ; il aime sa religion, et ne peut souffrir ceux qui disent qu'il la faut observer rigoureusement ; quoiqu'il fuie le tumulte des villes, et qu'il se communique peu, il n'est occupé, depuis le matin jusques au soir, qu'à faire parler de lui ; il aime les trophées et les victoires, mais il craint autant de voir un bon général à la tête de ses troupes, qu'il aurait sujet de le craindre à la tête d'une armée ennemie. Il n'est, je crois, jamais arrivé qu'à lui d'être, en même temps, comblé de plus de richesse qu'un prince n'en saurait espérer, et accablé d'une pauvreté qu'un particulier ne pourrait soutenir.

La vraie vie, c'est la littérature.